Le 07 avril 2021, à l’initiative de la Commission Diocésaine Justice et Paix de Yaoundé avec l’appui de la chefferie traditionnelle de Nsoh (département de la Mefou et Akono, arrondissement de Bikok), s’est tenu un atelier avec les chefs traditionnels du groupement Nyomo à l’occasion de leur traditionnelle rencontre mensuelle. Cet atelier qui portait sur le thème « La gestion des conflits fonciers et successoraux » s’est tenu à la chefferie de Nsoh. Il a connu la participation de 12 chefs traditionnels, 04 notables et 12 participants (population).
L’objectif de l’atelier visait à :
- Renforcer les capacités des chefs traditionnels du groupement Edouma dans la gestion théorique et pratique des conflits fonciers et successoraux ;
- Outiller les chefs traditionnels en matière foncière et successorale ;
- Amener les chefs traditionnels à s’engager à la prévention des conflits fonciers et successoraux dans leur territoire de commandement.
Après la prière dite par l’Abbé Pierre Alain NHIOMOG, Curé de la Paroisse de Notre Dame de Lourdes de NGOUMOU et membre de la Commission Diocésaine Justice et Paix de l’Archidiocèse de Yaoundé, les participants ont exécuté l’hymne national d’un seul chœur.
Dans son mot de bienvenue, Sa Majesté Pierre MEBENGA a précisé que les chefs étaient encore derrière. Avec la décentralisation, beaucoup d’entre- eux ne connaissent pas ce que c’est. Avec cette Commission qui s’est déplacée avec à sa tête la Coordinatrice diocésaine, elle va les édifier sur les problèmes qu’ils ne connaissent pas. Il a terminé en précisant que la Commission était chez elle à Nsoh et les chefs leur disent merci.
Dans son propos préliminaire, la Coordinatrice a remercié sa Majesté Pierre MEBENGA pour l’invitation, les chefs pour leur présence, les membres de la Commission présents, les journalistes. Elle a précisé que Justice et Paix travaille en collaboration avec les populations, et les chefs sont ceux là qui sont en contact direct avec les populations et nous connaissons les problèmes récurrents dans les chefferies à savoir, les problèmes fonciers et les problèmes successoraux. C’est la raison pour laquelle la Commission ne peut pas laisser les chefs seuls dans cette mission qui est celle de reconcilier, de semer la paix dans tous les villages, voilà pourquoi elle vient contribuer au renforcement des capacités des chefs, qui étant parfois les descendants d’une lignée, n’ont pas toujours toutes les compétences en matière de loi. Certains ont poussé leurs études et ont toutes ces compétences là, mais ce n’est pas toujours évident dans toutes les chefferies d’avoir des personnes qui peuvent allier la tradition avec la loi. La Commission comme service de l’Église vient pour renforcer les capacités des chefs en matière de loi, pour que les chefs puissent résoudre les conflits en utilisant à la fois la tradition qui a des valeurs et la loi.
Cette phase protocolaire s’est sanctionnée par une photo de famille.
Mme Viviane TOUKOMBO a ensuite introduit le module consacré aux techniques de gestion des confits fonciers et successoraux. Mais avant un brainstorming a été réalisé sur les problèmes qui se posent avec acuité au sein du groupement Nyomo. Il en ressort que le groupement Nyomo est confronté au :
- Problèmes de terrain liés aux « financiers » causant les discordes dans les familles ;
- Le partage de terrain par les familles ;
- La gestion de l’Héritage ;
- Mauvaise vente de terrain ;
- Non reconnaissance des legs et donations faits par les parents ;
- L’autoproclamation des chefs de familles ;
- La responsabilité des actes pris dans le cadre de la descente de la commission consultative
Mme Viviane TOUKOMBO (CDJP) a ensuite tenu à revenir dans un premier temps sur le conflit en donnant sa définition. On peut retenir que le conflit est ce désaccord, ce malentendu entre deux ou plusieurs personnes sur une question donnée et qui nécessite un arrangement. Aussi distingue-t-on plusieurs types de conflits (intra personnels, interpersonnels, intra groupes, inter-groupes, internationaux). La résolution des conflits passe donc par le dialogue. Pour ce faire, on a besoin du langage.
Pour gérer, voire résoudre un conflit, des techniques ou méthodes peuvent être utilisés en fonction des cas ou des circonstances. Ici il est question de présenter celles qui sont les plus usitées à savoir :
La négociation : processus de dialogue entre les parties en conflit qui acceptent de résoudre le problème sans l’intervention d’une troisième partie.
La conciliation : ici une tierce personne est chargée de proposer une solution aux parties en conflit
L’Arbitrage : c’est un processus qui fait intervenir une troisième personne acceptée des parties ; elle écoute les parties et tranche. L’arbitre est presque un juge.
La médiation : processus visant à amener les parties en conflit à trouver la solution pour une sortie du conflit. Un accent a été mis sur cette dernière technique notamment sur les étapes de la médiation et les qualités d’un médiateur.
- Les étapes de la médiation
Il revient au médiateur de créer une bonne atmosphère et maintenir la bonne communication pendant toutes les phases de la médiation qui sont les suivantes :
- La phase préliminaire : elle consiste en une prise de contact, c’est-à-dire que le médiateur voit les motivations des parties en conflits et par la suite une planification du processus de médiation.
- La phase introductive : dans cette phase, le médiateur doit :
- Créer une bonne atmosphère et un espace convenable en fixant les bases de la médiation. Il doit être en outre méticuleux. Si les parties n’arrivent pas au même moment, il ne doit pas établir de contact avec la première à arriver de peur de frustrer l’autre
- Établir les règles fondamentales telles que l’écoute active, pas d’interruption, pas d’offenses.
- Demander aux parties si elles sont d’accord avec les règles mentionnées plus haut
- Définir son rôle et sa responsabilité : « je ne suis ni juge ni arbitre… »
- Faire aux parties un rapport de leurs conflits : « vous êtes venus parce qu’il y a tel problème »
- La phase de présentation du conflit
- Dans ce cas, la parole est donnée aux différentes parties lorsque a parlé, la partie B écoute et doit pouvoir paraphraser et vice-versa. Chacun présente sa version des faits. Si c’est flou, utiliser la méthode de la communication non violente. Il faut en outre prendre les notes.
- La phase d’éclaircissement du conflit : le questionnement
- La phase de recherche de solutions : ici il faut s’appuyer sur la demande de chacune des parties, les rassembler et passer au consensus.
- La convention écrite : elle est signée par toutes les parties à savoir : les parties en conflit, le médiateur. Cette convention écrite doit servir en cas de besoin.
- Les qualités du médiateur
- Savoir écouter
- Créer un climat de confiance. Il reste calme, confiant, optimiste et à l’écoute.
- Il fait preuve d’empathie, en s’efforçant de comprendre chacune des parties, leurs prises de position, leurs problèmes
- Il est neutre et impartial ;
- Il facilite la communication et suscite chez les parties une écoute réciproque par le respect des règles de communication
- Il gère l’interaction entre les parties et peut faire face à des émotions intenses, à des attaques personnelles et à des stratégies de manipulation
- Il stimule une discussion productive des solutions envisagées en étudiant leur faisabilité au moyen de critères objectifs et en veillant à ce qu’elles rencontrent les besoins et attentes de chaque partie
- Il veille à ce que les négociations restent actives et positives afin que les parties puissent en venir à un accord.
Après ce premier module, le second a été introduit par M. Daniel ZOA (CDJP) sur les successions. Il a défini ce qu’on entend par héritage : c’est le patrimoine transmis au décès d’une personne. La succession s’ouvre donc au décès d’une personne (à son domicile). Aussi pour succéder, des conditions doivent être remplies à savoir :
- La capacité : ici il est question d’avoir une existence juridique (il faut être tout au moins avoir été conçu ou né viable),
- L’absence d’indignité successorale. Est indigne de succéder :
- Celui qui est condamné pour avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt ;
- Celui qui a porté contre le défunt une accusation jugée de calomnieuse et susceptible d’entraîner la condamnation à mort ;
- Celui qui n’a pas dénoncé à la justice les meurtriers du défunt alors qu’ils les connaissaient.
- Occuper son rang dans l’ordre successoral : cet ordre est constitué des :
- Descendants (enfants du défunt),
- Ascendants privilégiés (père et mère) et collatéraux privilégiés (frères et sœurs et descendants directs des frères et sœurs),
- Ascendants ordinaires (grands parents),
- Collatéraux ordinaires (oncles, tantes et cousins)
À ces ordres il faut ajouter le conjoint survivant et l’État.
Par ailleurs, la succession peut s’exprimer à travers le testament. On distingue certains types de testaments qui ont une valeur juridique qui leur est propre. Il s’agit notamment du :
- Testament notarié (ou testament authentique) : C’est celui que la personne qui veut organiser l’attribution de ses biens après son décès (le testateur) dicte à un ou deux notaires en présence de deux témoins.
- Testament mystique : il est rédigé par le testateur lui-même ou par une autre personne sous sa direction, et remis sous enveloppe fermée, cachetée et scellée à un notaire. Le notaire dans ce cas va rédiger un acte (acte de souscription) qui certifie qu’il a reçu l’enveloppe et son contenu comme testament. Il indique dans cet acte l’endroit où il a reçu le testament, la date et l’heure, la description du pli reçu…).
- Testament olographe : C’est celui qui est entièrement rédigé, daté et signé de la main du testateur.
- Testament verbal : c’est la forme de testament qui est le plus utilisé dans nos traditions. Il s’agit souvent de rassembler sa famille et de procéder à la répartition de ses biens. Souvent aussi, le testateur peut se confier à des personnes dignes de foi (épouse, amis intimes …) sur la manière de gérer sa succession.
Les échanges ont porté sur plusieurs points :
- Est-ce qu’un enfant adopté par les parents pendant que leurs propres enfants sont à l’étranger peut prétendre à l’héritage?
- Il ne peut pas prétendre à l’héritage, mais il peut bénéficier d’une donation ou d’un leg.
- Si je ne fais d’enfant avec mon mari et que ma sœur me donne son enfant que mon mari le reconnaît. Que faire?
- Cet enfant ne pourra plus hériter de son père naturel du fait de sa reconnaissance par un autre
- Si une femme vient en mariage avec un enfant qui n’est pas celui de son mari. Après la mort de ce dernier, cet enfant s’accapare des biens au détriment des enfants légitimes.
- Dans la norme, cet enfant qui n’est pas issu des œuvres du défunt ne peut avoir une part de l’héritage du défunt mari de sa mère. Il n’aura droit qu’au décès de sa mère où si celle-ci décide de lui faire une donation sur ses biens qui lui sont propres.
- Si quelqu’un te donne le terrain pour y travailler. Si cette personne le possède pendant 30 ans, est-ce que cela devient son terrain.
- On parle de prescription acquisitive du moment où après 30 ans aucune revendication n’est faite sur le terrain. Ledit terrain devient de ce fait la propriété de celui qui en avait la possession.
Après ces échanges, Madame la Coordinatrice est revenue sur la question des actes de mariage. Elle a précisé qu’il faut toujours savoir quel type d’acte on signe pendant le mariage. Car il ne s’agit pas d’être seulement contente de posséder une bague, mais savoir ce qu’on a signé. La loi précise qu’avant d’aller chez le Maire, il faut d’abord aller chez le Notaire pour connaitre le régime de mariage. Est-ce la communauté des biens ou biens séparés ? Vous allez vous marier comment et utiliser vos biens ? Malheureusement, on se rend compte que chez nous personne ne va chez le Notaire. Quand on se retrouve chez le Maire, dès qu’il demande, d’autres ne répondent même pas. La Coordinatrice a précisé que si vous ne répondez pas, attendez vous à un régime légal c’est-à-dire communauté des biens (meubles et acquêts. Il y a autre chose qu’on demande souvent : « l’option ». Il s’agit ici de savoir si c’est la polygamie ou la monogamie. Parfois on ne vous pose pas la question parce que le mari est déjà passé par derrière voir le Maire. Parfois il y a mésentente et le Maire demande d’aller s’entretenir dehors une minute et dès votre retour, le Maire précise qu’on laisse d’abord si vous ne vous entendez pas. La Coordinatrice précise que si vous n’écrivez rien, attendez-vous à voir plusieurs femmes venir après vous. Mais si vous avez signé monogamie et que vous prenez une autre femme vous allez en prison. Mais si les enfants naissent de cette deuxième union, ils bénéficient de la putativité.
M. l’Abbé Pierre Alain NHIOMOG a renchérit avec le mariage religieux en précisant que lorsque dans votre acte de mariage c’est écrit polygamie, vous ne pouvez pas vous marier à l’Église. Parce que l’Église voudrait que vous préserviez votre héritage pour que cette dernière reste dans une seule famille.
Sa Majesté le chef de groupement Nyomo M. BALLA BALLA Ambroise dans son mot de remerciement a exprimé son émotion quant aux contenu et la qualité des échanges, et a remercié la CDJP pour tout ce qui a été fait et qui continue à être fait. « Les enseignements que vous venez de dispenser à mes collaborateurs et aux populations vont certainement nous édifier dans nos missions et fonctions quotidiennes et nous permettront dans la mesure du possible de nous améliorer dans le règlement des litiges parce que bon nombre ne s’y connaît pas dans le droit positif. Nous pensons que nous allons pouvoir lire les dépliants et mettre en pratique toutes les résolutions prises afin que nous soyons meilleurs par rapport à ceux qui ne bénéficient pas des enseignements de Justice et paix. Aux chefs, Justice et Paix n’enlève rien à vos décisions, mais c’est un accompagnement qu’il nous donne. Justice et Paix et les chefs vont travailler main dans la main ».
Madame la Coordinatrice a remercié les chefs pour leur collaboration. C’était un moment agréable d’échange à cœur ouvert, parce que les problèmes que nous rencontrons sont ressortis et comment les résoudre pour le bien-être de nos populations. C’est la raison pour laquelle toute une délégation de la Commission peut prendre une journée pour venir à Nsoh pour renforcer les capacités et permettre aux uns et aux autres de partager les expériences sur la manière de gérer les problèmes. Nous espérons que ces connaissances seront diffusées et mises en pratique pour le bien-être de nos populations. Car si nous sommes en paix dans notre famille, notre village sera en paix et notre pays sera en paix. C’est la paix que nous recherchons et la justice naturellement. La Commission reste ouverte pour le travail et la collaboration avec les chefs. En ce qui concerne, les veuves, il ne faut pas attendre le jour de la célébration. ll faut nous saisir avant et voir quels sont les besoins pour que nous voyons ensemble ce que nous pouvons faire. Et quand c’est possible, venez au bureau si vous avez les projets et les activités que vous voulez mener et dans lesquelles ont peut vous accompagner, n’hésitez pas. La collaboration continue, ne vous sentez pas abandonner. Les veuves sont les personnes qui sont dans le cœur de Dieu « Protéger la veuve et l’orphelin », il ne faut pas s’amuser avec les veuves.
A la fin des échanges, les chefs traditionnels ont pris certaines résolutions à savoir :
- Ils s’engagent à prendre du temps pour lire les supports distribués
- Ils prennent la résolution de faire le compte rendu de l’atelier à leurs notables
- Ils feront une évaluation d’ici deux mois de l’implémentation de l’atelier (s’arrimer au droit conventionnel, allier droit et coutumes)
- Les Chefs s’engagent à faire la restitution des enseignements reçus à leurs notables et à les mettre en pratique ;